Souvent, je photographie en douce des gens. Une tronche, une attitude, un détail ou leur accoutrement m’accroche, je ne veux pas les oublier. J’ai les photos d’un ado chalala suçant son pouce, d’une jambe de femme avec du poil dru comme du chien-dent, d’une jolie petite fille qui semble être la mère de son père,d’ un musicien qui tressaute en lisant un prospectus sur la contraception, d’un vieux couple torride, d’une mère et sa fille, la petite et la grande poupées russes… Chlick je les chope pour en faire des personnages à écrire, ce qui en définitive n’arrive jamais. Tout au plus constituent-ils une cohorte de figurants qui habitent mon écriture sans s’y mêler. Mais l’autre jour, je lisais dans le bus, j’ai levé les yeux et en face de moi, il y avait Eliel.
Eliel, c’est le personnage de mon roman en cours. Un homme petit, sec, 69 ans, élégant sans luxe, secret, un peu ambigu (mon amie Sarahloup pense qu’il l’est totalement) et d’origine teintée d’Est. L’homme face à moi ne faisait pas que lui ressembler, c’était lui. J’ai eu envie de me lever et de l’annoncer à tous les passagers du bus, lui y compris. Je me suis contentée de le photographier discretos et j’en ai été soulagée comme si j’échappais à un malheur.
Le bus s’est arrêté prématurément, il n’irait pas à son terminus. Nous sommes descendus, Eliel est venu vers moi, il a ouvert la bouche, j’ai eu envie de fuir. Il allait briser l’enchantement et je lui en voulait à mort, ma fixation était comme une image d’un rêve, prête à m’échapper pour un mot dissonant. Il avait un petit accent, une façon particulière de parler, il pétillait. Ouf. Confirmé : c’était lui.
Il s’étonnait que le bus ait annoncé là son terminus. Il me demandait comment faire, en roulant un peu les R, car il voulait aller plus loin. La grande toquée des bus que je suis lui a tout dit des correspondances, il avait l’air satisfait en s’éloignant vers le 46. Je suis restée sous le coup de cette rencontre. Quelques temps plus tard, à l’Académie d’Ecriture, je l’ai racontée à Anaël.
« C’est dingue, m’a-t-il dit, tu rencontres ton personnage et il te demande de l’emmener plus loin ! »
Mais c’est bien sûr ! Comme c’est vrai, et simple ! Il faut savoir venir parler à son auteur et le reconnaître dans un bus. Je m’adresse ici à tous mes personnages : si on veut aller quelque part, on ne fait pas son timoré, on vient me le demander. (Attention, je peux aussi vous précipiter dans la galère).
Bon et bien Eliel, assez glandé à écrire des articles de blog, on y va maintenant !
oui ton Eliel est de l’est et il est top ! j’adore quand tu voles des clichés pour faire rebondir les intrigues et nous emmener ailleurs ! fais le encore !
J'aimeJ'aime
Attention quand même si ton personnage te demande de le suivre. Et si la maîtrise de l’histoire t’échappait ? Hein ???
J'aimeJ'aime
Lorsque je prépare un roman, je passe des heures sur internet pour trouver la photo qui va incarner THE personnage. Et je garde mon trombinoscope sous les yeux tout le long de l’écriture. Ton anecdote est excellente. Quelle chance d’avoir rencontré son héros pour de vrai ! 😍
J'aimeJ'aime
C’est un choix très difficile pour ne pas que l’image soit réductrice et qu’elle ouvre plutôt que de cerner. Trombinoscope, est-ce que ça veut dire que tu en fais un à partir de plusieurs images?
J'aimeJ'aime
Non ça veut dire que j’ai les visages de tous les personnages principaux réunis dans un « portrait de famille » en 1 page et que je garde sous mes yeux
J'aimeJ'aime