Mémoire, nostalgie et vice versae
La nostalgie peut-elle se passer de la mémoire? La mémoire peut-elle échapper à la nostalgie? Voilà deux poignantes questions que pose l’installation Memory de Raphael Elig et Laure Milena qui tourne depuis 6 ans dans les festivals.
C’est un projet boule de neige, qui se nourrit des souvenirs filmés de personnes de plus en plus nombreuses (représentatives d’un milieu urbain européen, des années 60 à nos jours) et les diffuse dans un triptyque onirique et aléatoire, comme l’est la mémoire, cette folle qui pioche anarchiquement dans le réservoir de nos émotions enfouies.
Confortablement installé, vous êtes au commandes, vous pilotez la netteté et le flouté des images et remixez la musique, au gré de votre doigt.
Graine de Memory
Bien qu’ayant vécu d’une autre profession, mon père est photographe et ses filles l’ont inspiré. Dans les années 60 et 70, il a réalisé des films en 8mm, dont il effectuait le montage en live, tout en filmant. Cadrage, narration, esthétique, ce sont des petits bijoux à usage familial. A l’ère du numérique, il les a tous re-filmés pour les convertir en Data. Pour mon père, la mémoire doit être sauvegardée coûte que coûte. Ces films ont été une des premières sources d’images pour Memory. Mon père était scié de voir son œuvre intime embarquée dans un projet artistique d’envergure, soumise à des milliers de regards. Mais je crois qu’il avait toujours su qu’il avait fait quelque chose de beau qui pouvait être donné à voir.
Nous voilà nageant, ouvrant nos cadeaux de Noël, sautant sur un trampolino dans des salles, des auditoriums, et aujourd’hui, à la gare Saint-Sauveur de Lille, mêlés à d’autres œuvres familiales, d’autres époques, d’autres précieuses banalités qui s’étoffent au fil du temps, se renforcent et se diluent.
La machine simule le chaos organisé de la mémoire programmée et échappant à sa programmation. Memory, c’est une machine qui aurait avalé nos souvenirs pour nous rappeler, un jour lointain, que bien qu’issus d’une société individualiste, nous aurons été voués à un destin commun.
Les ombres sur ces écrans, ce n’est plus nous mais des individus typiques d’une époque. La guerre commençait à se laisser oublier, on pouvait oser le bonheur. Ma mère, les cheveux coiffés en postiche, sourit comme toute femme qui vient d’être autorisée à ouvrir un compte en banque, qui sera libre d’avorter et de divorcer. Le soleil dans les yeux, je me dandine avec mon seau, ma bouée, mes câlins, mes couettes avec simplement cela de particulier sur d’autres petites filles de mon époque que j’ai été bien filmée.
Les nostalgies.
Pourquoi ce qui émane de Memory est-il nostalgique ?
« Nous ne l’avons pas cherché, dit Raphaël, mais il est clair que c’est un sentiment dominant dont la maîtrise nous échappe ». Les artistes tentent de contrebalancer en incorporant de l’humour. Mais Memory, preuve de sa puissance, « nostalgise » tout ce qu’il mange !
Cette nostalgie, est-ce la mémoire qui la contient intrinsèquement ? Dans ce cas, ne pourraient être non-nostalgique que ceux qui limiteraient drastiquement les retours sur leurs souvenirs.
A moins que la nostalgie soit le fait des invisibles : les amateurs qui ont tourné ces images. Dans quelle intention l’ont-il fait? Mus par quelle émotion, quelle angoisse de perdre l’instant ?
En privé, les plus souvent filmés sont les moments heureux, c’est pourquoi Memory garde exclusivement la mémoire du bonheur. A l’heure de la grande crise des valeurs, il nous faut faire le deuil de la certitude que les nôtres sont « les bonnes », celles qui étaient censées réserver un tel bonheur à l’humanité entière, et qui n’ont pas tenu leurs promesses. Autre nostalgie contenue dans cette œuvre-là.
Et votre mémoire à vous?
La machine à rêves est prête à l’avaler aussi car Memory est collaboratif. Si vous voulez contacter les artistes et déposer vos films.
Où voir et vivre Memory?
Vivre l’expérience Memory va bien plus loin que regarder rapidement quelques images sur internet. En live l’œuvre a une façon particulière de manipuler l’état d’âme.
Profitez-en, elle est présentée jusqu’au 4 septembre 2016 à la gare TGV Saint_sauveur à Lille, dans le cadre de Lille 3000u. Plein d’installations, de performances, d’expos. C’est l’évènement Lillois à ne pas manquer.
Un petit coup de TGV, et hop !
Si vous allez le voir et que vous souhaitez partager vos impressions, n’hésitez pas à laisser un commentaire ici ou sur ma page Facebook Troisrouges.
Plus sur Lille 3000
Plus sur Raphaël Elig, Laure Milena et leur œuvre Memory
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très bel article sur la nostalgie et la mémoire on reconnait « la patte » de Sylvie, bravo !
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Merci pour la découverte 🙂
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Eh oui, on se fait des petits cadeaux comme ça entre blogueurs 🙂 Bonne journée!
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